L'Etranger![](acamus.jpg)
L'Étranger est un
titre volontairement banal. Combien d'œuvres de toutes sortes, et aux sujets
les plus divers, se sont appelées ainsi ! Mais ce titre, parfaitement
adapté au propos de Camus, le résume en un mot. Et s'il est
banal, à première vue, il annonce une œuvre tout à
fait nouvelle, par le fond comme par la forme.
Le narrateur, Meursault,
employé de bureau à Alger, apprend que sa mère est
morte, dans un asile. Il va l'enterrer sans larmes et trouverait hypocrite
de simuler un chagrin qu'il n'éprouve pas. De retour à Alger,
il va se baigner avec une jeune fille, Marie Cardona. Ils se rendent au
cinéma et elle devient sa maîtresse. Meursault se lie avec
son voisin de palier, une sorte de souteneur, Raymond, qui lui demande
de rédiger une lettre pour lui. Invité par Raymond à
passer un dimanche dans le cabanon d'un ami, au bord de la mer, Meursault
s'y rend avec Marie. Deux Arabes qui avaient à se venger de Raymond
les trouvent là-bas. Il y a bagarre sur la plage, et Raymond est
blessé. Un peu plus tard, Meursault revoit par hasard les Arabes.
Sans savoir pourquoi, il tue l'un d'eux, avec le pistolet qu'il avait enlevé
à Raymond.
La seconde partie, complètement
parallèle à la première, raconte le procès
de Meursault. Tous les événements de sa vie, que nous connaissons,
sont passés en revue. Son indifférence prouve qu'il a une
âme de criminel. Il est condamné à mort, refuse les
consolations de la religion, et meurt en s'ouvrant "pour la première
fois à la tendre indifférence du monde".
Dans une préface
pour une édition universitaire américaine de L'Étranger,
Camus s'est clairement expliqué sur ses intentions : "J'ai résumé
L'Étranger, il y a longtemps, par une phrase dont je reconnais qu'elle
est très paradoxale : 'Dans notre société tout homme
qui ne pleure pas à l'enterrement de sa mère risque d'être
condamné à mort.' Je voulais dire seulement que le héros
du livre est condamné parce qu'il ne joue pas le jeu. En ce sens,
il est étranger à la société où il vit,
il erre, en marge, dans les faubourgs de la vie privée, solitaire,
sensuelle. Et c'est pourquoi des lecteurs ont été tentés
de le considérer comme une épave. Meursault ne joue pas le
jeu. La réponse est simple : il refuse de mentir. Mentir ce n'est
pas seulement dire ce qui n'est pas. C'est aussi, c'est surtout dire plus
que ce qui est et, en ce qui concerne le cœur humain, dire plus qu'on ne
sent. C'est ce que nous faisons tous, tous les jours, pour simplifier la
vie. Meursault, contrairement aux apparences, ne veut pas simplifier la
vie. Il dit ce qu'il est, il refuse de masquer ses sentiments et aussitôt
la société se sent menacée. On lui demande par exemple
de dire qu'il regrette son crime, selon la formule consacrée. Il
répond qu'il éprouve à cet égard plus d'ennui
que de regret véritable. Et cette nuance le condamne.
"Meursault pour moi n'est
donc pas une épave, mais un homme pauvre et nu, amoureux du soleil
qui ne laisse pas d'ombres. Loin qu'il soit privé de toute sensibilité,
une passion profonde, parce que tenace, l'anime, la passion de l'absolu
et de la vérité. Il s'agit d'une vérité encore
négative, la vérité d'être et de sentir, mais
sans laquelle nulle conquête sur soi et sur le monde ne sera jamais
possible." "On ne se tromperait donc pas beaucoup en lisant dans L'Étranger
l'histoire d'un homme qui, sans aucune attitude héroïque, accepte
de mourir pour la vérité. Il m'est arrivé de dire
aussi, et toujours paradoxalement, que j'avais essayé de figurer
dans mon personnage le seul christ que nous méritions. On comprendra,
après mes explications, que je l'aie dit sans aucune intention de
blasphème et seulement avec l'affection un peu ironique qu'un artiste
a le droit d'éprouver à l'égard des personnages de
sa création."
Vita
di Camus