LE
SENS DE CE QUI EST ABSURDE
M.
Smith: Tiens, on sonne. Il doit y avoir quelqu’un.
Mme Smith: Ne m’envoie plus ouvrir la porte. Tu as vu que c’était inutile. L’expérience nous apprend que lorsqu’on entend sonner à la porte, c’est qu’il n’y a jamais personne.
Eugène Ionesco
Le siècle passé est considéré une des périodes les plus innovatrices et productives de l’histoire de l’homme: au fur et à mesure que les événements se succèdent (voir les deux conflits mondiaux, les guerres civiles et la tragédie de l’Holocauste), les hommes commencent à développer des sensibilités différentes, ce qui aura d’énormes répercussions sur les productions artistiques.
Au lendemain de la 2ème guerre mondiale, c’est-à-dire quand
les gens ont l’impression avoir retrouvé un équilibre, certains
intellectuels européens préfèrent s’engager dans une analyse profonde de la
condition humaine: c’est Albert Camus qui, dans « Le mythe de Sisyphe »
introduit le concept de l’absurde, vu
comme un état d’inutilité permanente de l’homme.
Ce type d’expression trouve ses origines à partir de l’Angleterre
d’Elizabeth la première, lorsqu’il y avait des auteurs de théâtre qui
considéraient le monde comme une scène, et qui vivaient leur vie comme un long
rêve; encore y a-t-il des liaisons avec les romans de Lewis Carrol (non-sens)
et avec le mouvement dadaïste.
Plus tard, Martin Esslin[1]
reprend cet adjectif pour définir les productions théâtrales qui
s’inspirent au thème de la folie de l’existence humaine; ce sont tout à
fait deux les écrivains qui accueillent le plus ce nouveau courant: d’un côté
Samuel Beckett, irlandais, produit un roman où la relation mot-personnage est
fondamentale (car ses personnages n’existent pas sans leurs phrases); de
l’autre côté le roumain Ionesco se dédie tout de suite au théâtre de
l’absurde, en créant un genre complètement inattendu: la pensée principale
est qu’il y aura toujours des problèmes de communication tant qu’il y a des
personnes qui essaient de communiquer.
Eugène Ionesco naît dans un pays où le régime communiste russe s’impose bien sur le gouvernement local, et la rivalité Hitler-Stalin et le Socialisme donnent les bases pour qu’il y ait le besoin d’exprimer l’ironie de la condition de l’homme. Encore une fois le rapport entre mots et significations est complètement bouleversé, et il s’agit donc d’un genre assez difficile à comprendre: la rupture de la langue est causée par un langage stéréotypé, ridiculisé dans les pièces de Ionesco; la langue n’est plus un moyen de communication, mais elle donne la possibilité de tout surmonter et d’arriver au niveau des objets; le rire a une valeur particulière, comme il n’est pas une réaction libératoire mais il exprime une tension, une dérision.
Ionesco décide de créer un anti-théâtre pour s’opposer aux règles
conventionnelles du 19ème siècle; il étudie le théâtre des
situations, qui dénonce la fausseté des rapports, la routine quotidienne et la
difficulté d’entrer en relation avec les autres.
Célèbre grâce à « La leçon » et « Rhinocéros »,
Ionesco a développé ces thèmes dans ses œuvres, en particulier dans « La
cantatrice chauve »: au premier niveau de lecture, elle est
simplement une pièce très amusante et totalement incompréhensible; mais
au-delà des non-sens, l’auteur affronte les problèmes de la langue d’une
façon totalement nouvelle, du moment que dans cette pièce il situe des
personnages qui se comprennent à la perfection, mais qui, au même temps,
embrouillent les spectateurs avec leurs phrases folles:
M.
Smith: Kakatoes, kakatoes, kakatoes, kakatoes, kakatoes…
Mme Smith: Quelle cacade,
quelle cacade, quelle cacade…
M. Martin: Quelle cascade de cacade, quelle cascade de cacade, quelle cascade de cacade…
L’idée lui naît alors qu’il commence un cours d’anglais « Assimil »,
dans lequel les dialogues entre les personnages lui paraissent assez stupides:
par exemple, dans ces conversations M. et Mme Smith décrivent l’un à
l’autre d’une façon ingénue leur famille, leur travail, comme s’ils ne
se connaissaient pas; à ce propos-là, un message très important envoyé par
Ionesco est qu’on ne finit jamais de communiquer, surtout avec les gens
qu’on croit bien connaître.
Voilà le sens de ce qui est (apparemment ou non) absurde.
[1]
Critique littéraire et théâtrale, Martin Esslin, hongrois, a travaillé
pour la BBC londonienne et comme professeur de théâtre aux Etats-Unis;
« The theatre of the absurd » est l’essais qui commence à
parler de théâtre de l’absurde.